Cette table ronde réunit des acteurs travaillant dans le dispositif carcéral, afin de réfléchir sur la place des représentations de la prison dans la cité. Nous regarderons si cette place peut-être reconsidérée grâce aux présences d’artistes dans les murs ainsi qu’à l’émergence d’autres images.
Deux temps de discussions interrogeront les effets des présences artistiques en prison et comment chacun dans son rôle tente malgré tout de tomber le masque. Alors ces présences artistiques fabriquent-elles des illusions ou construisent-elles des possibilités d’inventer d’autres relations dans et avec le dispositif pénitentiaire ?
Avec : David Cauvin (surveillant formateur), Christophe Galleron (artiste), Franck Lamoline (Directeur de la maison d’arrêt de Chambéry), Marie-Christine Bourianne (enseignante ULE), Céline Saint-Martin (directrice Scène Oblique), Nathalie Mazaud (Vice-présidente chargée de l’application des peines), Salima Djenane (cadre de santé), Adeline Guichon (Cpip référente arts plastiques).
Remerciements :
Laureline Bucher, coordinatrice socio-culturelle en milieu pénitentiaire SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation de Savoie), l’ASDASS (Association de Soutien et de Développement de l’Action Socio-Culturelle et Sportive) et Sandrine Lebrun artiste-plasticienne, professeure-coordinatrice de l’école municipale d’art /Cité des arts.
Thierry Repentin, premier magistrat de la ville de Chambéry, introduit cette table ronde en mettant l’accent sur la qualité et l’exigence des partenaires du dispositif Culture-Justice.
En affirmant la nécessité de l’éducation artistique et d’explorer ce que l’art peut nous apprendre de la prison, il explique pourquoi il est nécessaire d’ouvrir la prison à son environnement. Non sans humour, il élargit sur la question des enfermements dont nous sommes tous et toutes – à différents degrés – confronté-es dans nos vies. « Il y a des prisons réelles avec des murs et il y a des prisons virtuelles et quand on est Maire on est parfois en prison, prisonnier d’un agenda, avec des horaires de liberté(..). »
Arnaud Théval évoque la nécessité de connections entre les cultures de l’art et de l’institution pénitentiaire pour inventer les conditions de rencontres, afin que ces langues différentes se comprennent mieux.
Il invite l’auditeur à un cheminement depuis l’extérieur de la prison, traquant les indices qui parlent de nos enfermements, puis nous conduit sur le parcours d’un détenu arrivant en prison. Dans les prisons de Chambéry et d’Aiton, ce dernier pourra voir la permanence des traces graphiques sur les murs, comme une permanence d’un désir d’expression.
Néanmoins il souligne la persistance d’un oxymore, entre l’invitation à l’évasion par l’art et la réalité du temps en prison cerclé d’empêchements et de concertinas.
« En allant en prison, j’ai ressenti la fin d’une fluidité.. on est haché dans ses mouvements. » dit l’artiste Christophe Galleron.
Si la question de la construction d’une relation de confiance dans un environnement hostile inquiète les protagonistes des projets artistiques en prison, ces derniers déclarent n’avoir jamais été en situation de s’empêcher de faire quelque chose. D’ailleurs les artistes sont les plus surpris des propositions acceptées et de ce que l’on peut faire en prison dans les ateliers dédiés. En même temps, la création artistique peut-elle se satisfaire d’un lieu assigné dans un monde carcéral ritualisé et pensé sous l’égide de la sécurité ?
« L’art ne se met pas dans les lits qu’on lui offre, ça n’existe pas ! » s’exclame la directrice culturelle !
La période de la pandémie de la covid 19 a violemment impacté la vie des établissements pénitentiaires en supprimant les activités. Si le vide a été criant pour certains, il a été reposant pour d’autres, tant l’ajout de la compétence culture est lourde dans l’emploi du temps.
Mais le temps qui se partage autour d’un moment artistique ne nous invite-t-il pas à reconsidérer ses effets sur les hommes et les femmes, détenu-es ou surveillant-es ? D’ailleurs, dans les bureaux de la juge d’application des peines, l’expérience de l’art agite-t-elle les rêves des futurs libérés ? « Le système judiciaire a-t-il bien compris tout ce qu’il pouvait retirer de ces expériences en prison ? » souligne la magistrate. Le temps est à disposition en prison, mais il en manque toujours pour les activités .. en plus du reste.
L’expérience des confinements, nous permet de mieux comprendre l’enfermement que les détenu-es vivent. Plus encore la nécessité des activités ? Cela ne semble pas si évident que cela tant certains restent reclus dans leurs cellules, peu enclins à découvrir des activités angoissantes.
« Comment mobiliser des personnes qui n’ont jamais été initiées à des pratiques artistiques ? » se demande le directeur de prison. Sommes-nous face à un problème d’architecture ou de conception des rôles que peuvent tenir les personnels de surveillance dans l’accompagnement vers ces pratiques ? Qui infantilise qui et pourquoi donc ?
Chacun dans son métier et dans son institution semble d’accord pour dire à quel point l’expérience de l’art est utile, mais personne ne semble en mesure de coopérer à partir de cet objet pour inventer d’autres formes de relation et d’organisation dans le parcours du détenu.
Sommes-nous responsables de la façon dont nous travaillons séparément ensemble ? Ou sommes-nous prisonniers d’un système infantilisant ne nous permettant que de créer de petites parenthèses communes ? Alors l’artiste doit-il se former pour parler aux surveillants et ceux-ci doivent-ils intégrer une compétence culture dans leur formation initiale ?
Solène Desurmont, Clara Pontello, Teresa Piening et Oscar Mijangos , étudiants du master professionnel développement de projets artistiques et culturels inter-nationaux de Lyon 2, clôturent la soirée en présentant leur recherche sur les liens entre Art, culture et prison.
« Notre recherche part d’une situation d’ignorance. Nous avons interrogé notre propre fascination de la prison. » commencent-ils.
« D’emblée, on peut dire que parler de la prison est problématique. C’est un « établissement où sont détenues les personnes condamnées à une peine privative de liberté ou en instance de jugement » mais c’est aussi un concept qui englobe de nombreuses réalités : la peine d’emprisonnement, la privation de liberté ou le système carcéral dans sa globalité. De même, les représentations artistiques sont multiples, difficiles à englober dans une même définition. Le lien établi entre emprisonnement et art peut sembler paradoxal. Alors que la prison symbolise la privation de liberté, l’art est souvent synonyme de libération par l’imaginaire. On comprend alors que des contraintes puissent émerger de cette association. Pourtant, le lien entre culture et justice a une assise administrative de plus en plus solide. »
Arnaud Théval Soudain, entre les murs, l’animal (2021) installation composée de trois photos formats 400 x 300 cm, 150 x 200 cm, 300 x 200 cm et pièce sonore réalisée avec Pauline Boyer.
Voilà ce que j’entends quand j’écoute ceux qui vont en prison, il faut dire que ça remue, mais quoi d’autres ? La Cité des arts propose à des artistes de concevoir des ateliers de créations pour personnes détenues grâce au dispositif interministériel Culture-Justice. Désormais les artistes font partie du paysage carcéral, mais ce qu’ils y fabriquent demeure peu visible. Et que dire de la mémoire de ces moments passés à co-construire un imaginaire commun qui disparaît dans la vitesse du quotidien, comme une fuite déplorable.